Interview : vivre en quasi-autarcie, l’expérience d’un homme

Expérimenter la vie en autarcie, en auto-suffisance, hors du temps, observer la nature, composer avec elle, et s’émerveiller de ce qu’elle nous offre… tel est le quotidien de Pierre (Geispe), qui vit au plus près de l’environnement et partage ses découvertes au travers d’un blog. Nous avons voulu en savoir plus sur les motivations de ce Robinson Crusoé des temps modernes.

Bonjour Geispe. Peux-tu nous donner ta définition de la vie en autarcie ?

Geispe : C’est la définition de l’autarcie… le fait de vivre en autosuffisance totale : il faut pour cela pouvoir produire ou trouver sur place tout ce dont on a besoin pour vivre, sans apports extérieurs.

Ton mode de vie ressemble t-il à cette définition ?

Geispe : pas exactement… je m’intéresse à la vie en autarcie mais la mettre totalement en pratique est impossible aujourd’hui et dans nos systèmes actuels, sauf peut-être si on vit dans un endroit propice et à l’abri de la civilisation moderne. Mais par mon mode de vie, j’essaie de me rapprocher que cette idée d’autosuffisance : le but est plutôt d’expérimenter ce que serait une vie en quasi-autarcie et d’essayer de trouver des idées et solutions pour la rendre agréable et intéressante.

Qu’est-ce qui t’a motivé et décidé à tenter l’aventure ?

Geispe : les motivations sont diverses, il y a d’abord la curiosité… lorsque je me suis rendu compte que le monde moderne était entièrement dépendant de ressources non renouvelables comme le pétrole (sans lui il ne peut plus fonctionner) : il arrivera donc un moment, tôt ou tard, où les réserves vont décliner (là nous y sommes) pour devenir insuffisantes. cela donnera naissance à de graves tensions et le monde finira un jour par tomber en « panne sèche ». j’ai alors eu envie d’expérimenter un monde sans pétrole, afin de voir ce que cela peut donner, s’il est viable, déjà (ce qu’il est, puisque le pétrole ne date que d’un siècle et que l’humain a très bien vécu avant, durant des milliers d’années) mais aussi pour savoir si et comment l’on pouvait rendre un tel mode de vie agréable et intéressant.

J’expérimente par conséquent un système qui envisage un futur probable, d’où le pétrole est absent. cela en devient carrément un autre monde : ce n’est pas un retour dans un monde du passé mais un nouveau monde qu’il nous faut créer pour un tas de raisons (nous n’avons par exemple pas l’état d’esprit ni l’énergie physique, des gens des époques anciennes, mais nous avons une multitude de savoirs en plus).

Une autre motivation est simplement le respect et l’équilibre de l’environnement dans lequel je vis : en consommant peu et en essayant de vivre et produire – sans nuire – ce dont on a besoin, on crée un système authentiquement durable (car le durable dont il est souvent question ne l’est pas vraiment)…

L’origine de mes idées… remonte à loin : c’est un peu « je suis tombé dedans quand j’étais petit » mais aussi l’influence de ma compagne : dans les années soixante, j’ai créé, avec un copain, un mouvement d’étude et de protection de la nature dans mon quartier (où j’ai rencontré Sabine), puis nous sommes allés habiter de plus en plus loin à la campagne.

Depuis combien de temps, où, et comment vis-tu en autarcie ?

Geispe : Depuis plus de vingt ans, dans mon fond de vallée Vosgienne, j’expérimente de nombreux aspects de l’autarcie, mais je suis contraint d’acheter pas mal de choses puisque je n’arrive pas à produire ou faire tout ce que je voudrais… surtout parce que je ne consacre pas tout mon temps à cela.

Nous sommes sur un terrain d’environ trois hectares comprenant une ancienne scierie et un hangar industriel attenant… s’agissant d’un fond de vallée l’endroit est plutôt humide et frais, ce qui n’est pas sans poser certains problèmes pour les cultures, par exemple.

As-tu rencontré des difficultés ?

Geispe : non, pas particulièrement… si ce n’est des difficultés au niveau de la pratique agricole et de la production des semences, éventuellement… mais c’est essentiellement lié au fait que je ne dispose pas d’un environnement idéal… mais peut-être aussi, après-tout, aux récentes et nouvelles variations climatiques…

T’arrive t-il de regretter ta vie d’avant ?

Geispe : non, pas du tout, surtout que je suis à la retraite entretemps ce qui a l’avantage de me permettre de faire à plein temps des tas de choses que j’aime faire.

Quel a été le regard des autres (famille, amis, les gens en général…) sur ce choix de vie en autarcie ?

Geispe : ils nous ont suivi avec distance et curiosité mais comme ils nous connaissaient et que nous avons toujours été un peu en marge, cela ne les a pas étonnés… mais je ne me souviens pas de problèmes de ce côté là.

N’es-tu pas coupé du monde (même si tu tiens un blog), isolé socialement, es-tu toujours en lien avec l’administration Française ?

Geispe : pas très coupé du monde en fait : la prochaine petite ville est à une quinzaine de km et même en forêt et à 3km du village nous sommes bien intégrés… notre lieudit est bien connu puisqu’il s’agit d’un ancien moulin faisant partie du village depuis quelques siècles déjà…

pas de problème particulier avec l’administration : j’étais longtemps salarié, puis me suis mis à mon compte comme épicier bio sur les marchés, ce que j’ai fait durant plus de vingt ans…

As-tu déjà été confronté à des réactions virulentes du genre : cet homme est dans une secte, ou, c’est un anarchiste… et comment réagis-tu ?

Geispe : pas du tout. nous avons toujours été très bien acceptés. les gens que nous voyons sont au contraire souvent bien disposés à notre égard : touristes et promeneurs apprécient la nature et en général nos explications. les villageois nous ont bien acceptés depuis une vingtaine d’années à présent… nous voyons pas mal d’anciens (ils ont le temps de se promener) avec lesquels nous avons des échanges toujours intéressants…

certains s’étonnent de notre démarche et il nous est arrivé plusieurs fois que l’on nous propose de l’aide et une tronçonneuse lorsqu’on nous voit par exemple scier notre bois à la main 🙂

mais nos expériences passent toujours bien et nous pratiquons aussi des échanges de plantes et semences parfois…

Quels ont été tes plus grandes joies ?

Geispe : j’aime une sorte de sérénité et de satisfaction constantes… des plaisirs particuliers c’est lorsque l’on remarque que quelque chose fonctionne bien, ou que la communication avec l’environnement fonctionne. la nature est toujours pareille et pourtant toujours différente : là ce sont les cerfs qui se manifestent à présent par leur brame… l’environnement est une sorte d’horloge qui marque continuellement l’heure…

lorsque l’on vit dans la nature on se réjouit des mêmes rencontres chaque année au fil des saisons avec souvent de petites choses qui changent et évoluent… : une plante ou un animal qui est de retour puis disparait, d’autres qui sont de nouveaux arrivants que l’on n’a jamais vu par ici… ce sont donc plutôt plein de petites joies variées et continuelles…

Quelles techniques as-tu appris ?

Geispe : le jardinage et la culture des basiques par exemple… (c’est à dire des plantes dont on a vraiment besoin si l’on veut manger surtout en hiver (céréales, pommes de terre, légumineuses, oléagineux) ; sans pouvoir toujours faire la quantité dont j’ai besoin j’expérimente quand même beaucoup de cultures diverses afin de voir « comment çà marche » et essayer de trouver lesquelles sont les plus intéressantes dans un monde manuel… j’ai fini par mettre l’élevage en retrait alors que, comme beaucoup de gens, j’avais démarré essentiellement avec lui : mais il fait trop de travail et prend trop d’espace… à l’expérience on en devient presque végétalien… et j’ai fini par ne plus avoir envie de tuer les animaux que j’élevais…

en faisant soi-même on apprend beaucoup et on a beaucoup de choses très variées à faire, si l’on se dit « admettons que je sois définitivement tout seul en pleine nature, je ne peux plus rien acheter : comment je fais pour survivre, puis vivre… et finir par être bien »

avec çà de rassurant que, durant l’exercice, on est toujours dans un monde moderne… dont on profite quand même sur beaucoup de points… 🙂

Cette vie t’a tel appris quelque chose en particulier ?

Geispe : elle m’a permis de découvrir beaucoup de facettes de l’aspect coopération avec la nature… : presque toutes les plantes se mangent en cas de nécessité et j’ai la acquis la conviction que l’on peut y vivre confortablement et sans manquer de rien à conditions que l’on apprenne à s’organiser et à bien gérer. que l’on sache créer une routine… qui fait qu’ensuite le système tourne en partie tout seul… de lui-même ou par inertie…

je suis aussi persuadé que nous avons encore des tas de choses insoupçonnées à découvrir au sujet de l’origine et du fonctionnement de la vie et du vivant… de l’invisible entre autre… : on ne risque donc pas de s’ennuyer de sitôt…

Quel est selon toi la plus grande différence entre ton mode de vie actuel et celui avant l’autarcie ?

Geispe : c’est la différence d’un mode de vie d’employé de banque (que j’étais dans ma jeunesse, dans une ville) et de celui, pas mal Robinson, dans un vieux moulin perdu au fond d’une grande forêt…

Quel conseil(s) donnerais-tu à une personne qui a envie de vivre en autarcie ?

Geispe : proche de l’autarcie, disons… : de bien y réfléchir préalablement, planifier correctement… être sûr et savoir ce que l’on veut… ne faire que si çà plaît vraiment… (c’est important pour éviter les déceptions) puis commencer par n’importe quel bout et persévérer…

Un tel type de mode de vie inclut toutes sortes d’activités ; c’est donc intéressant parce que l’on devient polyvalent : on est artisan, paysan, bricoleur, constructeur, artiste… etc…etc..

Pour toi, l’autarcie c’est un Aller simple… ou tu pourrais prendre un jour un billet retour ?

Geispe : un mode de vie rustique et proche de la nature : sans problème un aller simple 🙂

As-tu une anecdote particulière à nous faire partager ?

Geispe : il en arrive, parfois… comme lorsque ma vielle chienne est morte, la surprise de lui voir succéder, durant une saison, une renarde qui a fini par venir chercher chaque soir à l’heure convenue, son œuf que je posais devant moi…

Ça a été une lente démarche lors de laquelle la renarde venait le soir et m’observait de loin. au bout de quelques jours elle s’est approchée, probablement attirée par le tas de compost. avec le temps elle n’a plus eu peur et se couchait parfois derrière la clôture du jardin pendant que j’y travaillais, à peine à quelques mètres de moi. par la suite je lui ai proposé tous les soirs un œuf de poule qu’elle est alors venue chercher régulièrement… elle a disparu plus tard et je crains qu’elle ait été tuée par des chasseurs…

Quel message aimerais-tu faire passer à nos lecteurs ?

Geispe : s’il en fallait un ce serait peut-être celui d’essayer de s’intéresser à toutes les choses de la vie et de l’existence… d’être patient et curieux de tout : cela m’a toujours beaucoup apporté…

L’éco-blog : Merci de nous avoir fait partager un morceau de ta vie Geispe. Nous ne manquerons pas de continuer à lire tes aventures et découvertes sur la vie en autarcie via ton blog !

monotarcie.blogspot.com

About the author
Community Manager de l'imprimerie Villière (imprimerie écologique).

4 Comments

  1. bonjour,

    je me présente, Virginie Kapps Nuss, je suis la fille de Christine Nuss (fille de Grosskost Eve), je ne sais pas si cela vous dit quelque chose. J’habitais pendant 1 an chez Paul et Bernard il y a quelques années également. Maman m’avait parlé de vous quand j’étais plus jeune, elle m’avait dit que vous viviez au sein de la nature avec tout ce qu’elle peut vous apporter et entouré d’animaux !
    Je viens de lire votre blog un petit peu et je trouve que vos propos sont vraiment très très intéressants ! c’est magnifique la pureté et la profondeurs de vos récits par rapport à votre expérience de la vie ! j’ai également un peu lu vos autres centres de réflexion et regardé vos photos (ce sont de très belles photos) via vos autres blogs et je trouve çà très intéressant ! cela permet de constater ce que la nature nous offre de plus beau et de se rendre compte à quel point, de nos jours elle est gâchée, de part et d’autre, par la bêtise humaine et la technologie !
    Cela fait plaisir d’apprendre plein de choses de la vie qui semble être un petit peu oublié de nos jours ! bravo pour ces révélations et merci de nous faire partagé tout cela ! bonne continuation et au plaisir de lire plein d’autres récits de votre vie au sein de la nature ! cordialement, Virginie.

  2. Bonjour,
    je suis maraichère bio, depuis 3ans. J ai toujours eu été très proche de la nature, marre de cette société de consommation, de payer payer, de dépouiller mère nature (pétrole, foret…)Je pense en effet très sérieusement de me retirer comme vous dites même si il faut un minimum, de pense que nous pouvons vivre de ce que la nature nous offre. Bois pour se chauffer ce qui est déjà notre cas….Je sais cultiver les légumes de part ma profession, faire du pain, faire du fromage etc… Nous nous entourons de tellement de choses superficielles aux veillées au bord du feu au lieu du progrès nous avons à mon gout régressé. Nous sommes chacun dans notre train train et voilà plus de communication plus d’ouverture sur le monde. Quel dommage que la nature est généreuse quand on la respecte…
    Super initiative bon courage
    Audrey

  3. Bonjour,

    Je suis journaliste pour l’émission « ça nous ressemble » diffusée sur TMC, un magazine de société présenté par Julie Taton. Dans le cadre de cette émission, je prépare actuellement un documentaire de 52 minutes sur un sujet nommé « les différents modes de vie » et je suis à la recherche du profil suivant :

    – Des personnes ayant un mode de vie totalement différent.

    suite à la lecture de votre témoignage j’ai pu constater que votre mode de vie est différent.

    Nous souhaitons filmer ces personnes dans leur quotidien et ainsi comprendre leur mode de vie.
    Si vous souhaitez témoigner ou avoir plus d’informations sur le sujet, n’hésitez pas à me contacter.

    Jade
    01.53.84.33.61
    Merci

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